La parfumerie est un univers qui suscite fascination et curiosité. Toutefois, de nombreuses fausses idées reçues circulent. Elles sont malheureusement relayées sur Internet ou via le bouche-à-oreille. Dans les faits, la création d’un parfum repose sur un mélange complexe de savoir-faire technique. Pour y voir plus clair, nous passerons en revue les idées reçues courantes. Puis nous réhabiliterons la vérité sur les points cités.
fausses idées reçues n°1 : “Il existe un fixateur qui prolonge la tenue de n’importe quel parfum”
La rumeur
La plus commune des fausses idées reçues est que l’on entend souvent qu’il suffirait d’ajouter un ingrédient secret (souvent appelé fixateur) pour qu’un parfum tienne plus de 24 heures. Et cela marcherait quel que soit son type de formulation.
La réalité
En pratique, aucun ingrédient unique ne peut garantir une tenue illimitée. Le terme fixateur existe bel et bien en parfumerie : c’est une caractéristique des notes de fond. Nous pourrions citer certaines résines, muscs ou notes boisées, la vanille, la rose ou le patchouli. Ces notes permettent de ralentir l’évaporation des composants plus volatils. Cependant, leur efficacité dépend du contexte global de la formule :
- Qualité des matières premières : une même note boisée (ex. cèdre) varie selon la source, la qualité, la méthode d’extraction…
- Architecture olfactive : l’équilibre entre les notes de tête, de cœur et de fond.
- Chimie de la peau : le pH et l’hydratation cutanée peuvent fortement influer sur la durée de vie du parfum.
- Température et hygrométrie : la température extérieure ainsi que l’humidité ambiante ont un impact sur la peau et sur le parfum.
- Support de pulvérisation : le parfum ne se comportera pas de la même manière selon sur quoi on le projette. Par exemple : coton ou polyester ne le conserveront pas aussi longtemps l’un que l’autre.
Ce qu’il faut retenir des fausses idées reçues
Certaines molécules (ex. Iso E Super, Ambroxan, muscs synthétiques) ont la capacité d’augmenter la persistance. Par contre, elles fonctionnent surtout en synergie avec d’autres composants. Il faut comprendre que si l’ajout d’un ingrédient peut améliorer la tenue globale du parfum, il apporte aussi un déséquilibre. Ainsi, si le projet était axé autour de la bergamote, ajouter des notes de fond puissantes comme du patchouli va dénaturer le tout. Certes cela améliorerait la tenue, mais la composition ne sentirai plus la bergamote. Il n’existe pas de potion magique unique à ajouter à tous les jus. La complexité de la composition reste le principal facteur de succès pour la tenue d’un parfum.
fausses idées reçues n°2 : “Si j’augmente la concentration, le parfum est de meilleure qualité et il tient plus”
La rumeur
Parmi les autres fausses idées reçues, nombre de consommateurs pensent qu’une Eau de Parfum (EDP) tiendra forcément mieux qu’une Eau de Toilette (EDT). D’autres diront qu’un Extrait de parfum est forcément supérieur en qualité et en longévité. Ce n’est pas aussi simple.
La réalité
La concentration joue un rôle bien sûr, mais ne fait pas tout. Les répartitions courantes (Eau de Cologne, EDT, EDP, Extrait) donnent effectivement une tendance d’intensité. Cependant la tenue dépend de la formule globale :
- Les notes de tête très volatiles (agrumes, hespéridés) s’évaporent vite, même si la concentration est importante.
- Des notes de fond (boisées, ambrées) peuvent favoriser la persistance, même dans un parfum moins concentré.
- Les matières premières synthétiques (muscs, certains boisés) sont parfois plus tenaces que leurs équivalents naturels.
Ce qu’il faut retenir des fausses idées reçues
Il n’existe aucune réglementation stricte sur les appellations liées à la concentration d’un parfum. Ainsi, un produit étiqueté Eau de Toilette peut tout à fait contenir 18 % de concentré, alors qu’une Eau de Parfum ne dépasserait pas 15 %. Le terme Extrait de Parfum renvoie simplement à ce qu’on appelait autrefois Parfum, avant l’apparition des EdT et EdP.
Les marques créent également de nouvelles désignations comme Eau Fraîche par exemple. Mais la qualité d’un parfum ne se résume pas à son pourcentage de concentré ou à sa catégorisation. Une composition florale subtile à 12 % peut offrir une excellente tenue et une expérience olfactive riche. Tandis qu’un oriental trop saturé risque de sembler lourd. En fin de compte, l’expertise du parfumeur importe autant que la proportion d’essences. Ceci car une formule constituée de notes de fond médiocres tiendra peut-être longtemps… sans forcément livrer une expérience olfactive satisfaisante.
fausses idées reçues n°3 : “Le 100 % naturel est forcément supérieur au synthétique”
La rumeur
Certains affirment que seuls les ingrédients d’origine naturelle garantissent un parfum authentique et de meilleure qualité. En opposition, que les molécules synthétiques seraient artificielles, chimiques, voire nocives. Cela fait partie des fausses idées reçues persistantes.
La réalité
En parfumerie, le tout naturel n’est pas forcément synonyme de perfection. De plus il est très limité. En effet, les matières d’origine animale sont mal aimées ou délaissées pour des raisons éthiques. Tandis que la palette de matières végétales est relativement faible. Les matières naturelles sont souvent choisies pour leur richesse olfactive (ex. rose de Damas, jasmin de Grasse), mais cela relève aujourd’hui autant du marketing que d’une richesse de terroir. La Rose de Damas pousse au Maroc, en Bulgarie ou en Turquie. Le Jasmin de Grasse est originaire de l’Himalaya et pousse de l’Espagne à l’Italie, en passant par le Maghreb. En outre, les caractéristiques peuvent varier d’une récolte à l’autre. Un ingrédient naturel va contenir différents allergènes en proportions variables, et parfois poser des questions de durabilité écologique (surexploitation, monocultures…).
À l’inverse, les molécules de synthèse permettent de :
- Reproduire des odeurs impossibles à extraire naturellement (ex. le muguet, l’odeur de violette reconstituée).
- Fournir des odeurs qui n’existent pas dans la nature ou que l’on ne peut pas extraire (ex. notes d’embruns, de tabac).
- Stabiliser un accord qui serait trop instable ou trop coûteux en version 100 % naturelle.
- Diminuer la pression sur certaines ressources naturelles rares ou menacées.
Ce qu’il faut retenir des fausses idées reçues
La palette du parfumeur est indissociable des matières issues de la synthèse depuis les années 1900. Ainsi, la parfumerie moderne fonctionne souvent sur un mélange maîtrisé de matières naturelles et synthétiques. Il ne s’agit pas d’opposer naturel et synthétique, mais de trouver le meilleur équilibre. Le but est d’obtenir une signature olfactive à la fois harmonieuse, stable et conforme aux réglementations en vigueur. Enfin, la production mondiale de matières naturelles ne suffirait pas à couvrir les besoins mondiaux. Enfin, la diversité des parfums que vous appréciez résulte des avancées dans le domaine de la synthèse. Certains de ces points sont détaillés dans un article sur les matières naturelles et synthétiques.
fausses idées reçues n°4 : “Les huiles essentielles pures suffisent pour faire un parfum”
La rumeur
Beaucoup de sites ou de blogs prônant le bio et le fait-maison favorisent la propagation de fausses idées reçues. Ils disent “Mélangez quelques huiles essentielles dans un alcool fort, et hop, vous avez un parfum ”. Certains sites pseudo-spécialisés affirment même que c’est ainsi que font les professionnels.
La réalité
En parfumerie, les huiles essentielles ne constituent qu’une petite partie de la palette d’un parfumeur. Bien qu’elles soient très prisées pour leurs odeurs concentrées, elles peuvent aussi présenter d’importantes limitations :
- Toxicité et allergènes
De nombreuses huiles essentielles renferment des molécules potentiellement dangereuses lorsqu’elles sont mal dosées . Certaines (comme l’huile essentielle de cannelle, de thym ou de clou de girofle) sont très irritantes pour la peau. D’autres (ex. huile essentielle de sassafras, de rue) peuvent même avoir des effets nocifs sur le foie ou les reins. Cela est dû au fait qu’elles franchissent facilement la barrière cutanée et pénètrent le sang. De plus, certaines HE sont riches en allergènes (limonène, linalol, eugénol, etc.). Le dépassement des seuils fixés par l’IFRA concernant ces allergènes peut poser un risque grave pour la santé. - Solubilité
Les huiles essentielles ne se dissolvent pas toujours bien dans l’alcool, surtout à dose élevée. Un mélange trop concentré peut conduire à la formation de dépôts, ou à une apparence trouble. Parfois même à une séparation de phases, rendant le parfum instable et peu engageant. - Équilibre olfactif
Un assemblage d’huiles essentielles a tendance à manquer de liant et à évoluer de manière désordonnée. En effet, chaque HE possède sa propre complexité olfactive et réagit aux variations de température ou d’humidité. Afin d’obtenir une structure moderne et nuancée, les parfumeurs recourent souvent à des molécules de synthèse. Ils utilisent aussi d’autres matières naturelles comme les résinoïdes ou les absolues. Tout cela offre un panel d’odeurs plus large et permet de construire des accords stables, harmonieux et bien plus variés.
Ce qu’il faut retenir des fausses idées reçues
Il est certes possible de concevoir un parfum 100 % naturel en combinant huiles essentielles et absolues, mais cela exige une expertise pointue en formulation, en toxicologie et en réglementation. Un simple mélange improvisé risque de s’avérer déséquilibré, peu stable ou non conforme d’un point de vue légal et sanitaire. De plus, l’éventail de matière première étant limité vous n’obtiendrez pas la variété des parfums modernes. En pratique, pour créer des parfums véritablement complexes et sûrs, on recourt donc à un éventail complet de composants, naturels ou de synthèse, plutôt qu’à de seules huiles essentielles. Enfin, on ne fabrique pas un parfum en utilisant de la vodka ou du gin comme solvant, seul l’éthanol surfin cosmétique est suffisamment pur, neutre et inoffensif.
fausses idées reçues n°5 : “L’IFRA est un label de qualité ou une certification”
La rumeur
Toujours dans les fausses idées reçues, on note que de nombreux consommateurs pensent que l’IFRA joue le rôle d’une autorité publique. Certains pensent que ses recommandations constituent une règlementation obligatoire ou une sorte de label de qualité.
La réalité
l’IFRA (International Fragrance Association) n’est pas un organisme gouvernemental : c’est une association professionnelle qui édicte des recommandations (appelées “Standards IFRA”) pour l’usage des ingrédients en parfumerie. L’objectif est de réduire les risques pour la santé et l’environnement, en recommandant la limitation ou l’interdiction de certaines molécules identifiées comme potentiellement allergisantes ou toxiques. Toutefois, ces standards ne sont pas des lois :
- Dans la plupart des pays, les règles IFRA n’ont pas de caractère légal contraignant : les acteurs de la parfumerie choisissent d’y adhérer (ou non) afin de suivre les “bonnes pratiques” reconnues par le secteur.
- Exceptions : certains États ont intégré partiellement ou totalement les recommandations IFRA dans leur propre législation (ou s’y réfèrent pour établir leurs normes). Cela reste néanmoins peu répandu et dépend du pays.
- Enfin, contrairement à un label (type Ecocert, Cosmebio, etc.), l’IFRA ne délivre pas de certification et n’atteste pas d’une quelconque qualité supérieure. Son rôle est plutôt de proposer un cadre de sécurité et d’encadrer l’usage des matières premières pour protéger consommateurs et marques.
Ce qu’il faut retenir des fausses idées reçues
Tous les produits cosmétiques professionnels fabriqués en Europe sont accompagnés d’un certificat IFRA. C’est un document généré automatiquement par le logiciel dont dispose le fabricant du produit. C’est généralement le même logiciel qui leur sert pour la gestion des stocks et des formules, ainsi que la création des Fiches De Sécurité et autres documents. Cela ne garantit toutefois pas la compétence de formulation ni la qualité finale du parfum. En effet, une formule bas de gamme disposera d’un document IFRA de la même manière qu’une formule très qualitative. Il est donc important de faire la distinction : suivre les normes IFRA est un gage de conformité réglementaire et de responsabilité envers le public, mais pas un sceau attestant d’un niveau supérieur de luxe ou d’excellence olfactive.
On le voit, la parfumerie est un domaine bien plus nuancé qu’il n’y paraît. Entre l’illusion d’un fixateur universel, l’idée selon laquelle la concentration définit la qualité, ou la croyance en un 100 % naturel infaillible, les fausses idées reçues sont légion. Toutefois, en prenant du recul sur ces questions, on réalise que chaque parfum est le fruit d’un art complexe, mêlant chimie, inspiration créative et respect de normes parfois très strictes. En effet, le parfumeur a besoin d’un sens artistique, de tenir compte des contraintes réglementaires. De plus, des connaissances en chimie sont indispensables. Enfin, il faut une solide mémoire olfactive pour identifier des centaines d’ingrédients.
Mais ce n’est pas tout : d’autres fausses idées reçues sur la parfumerie circulent, concernant par exemple la macération, la conservation des flacons ou encore le rôle du prix. Nous développerons prochainement d’autres parties de cette série, où nous démystifierons à chaque fois cinq autres mythes persistants. En attendant, n’hésitez pas à consulter nos autres articles pour approfondir vos connaissances, ou à découvrir notre sélection d’extraits de parfums.